Je lisais ce matin un bout de bible (voir billets précédents), qui m’a mené vers un article wikipedia, qui m’a mené vers un livre du XIXe siècle, qui m’a ramené vers David Lynch. On respire !
Les digressions ne sont pas rares durant mes sessions de lectures en live, mais elles auront ce matin représenté l’essentiel de la session :p Rien de grave cependant, cela m’a permis de découvrir deux livres anciens forts intéressants que l’on peut récupérer en PDF ! L’un était chez Google Books, l’autre chez Gallica. Dans ce dernier cas, il est même possible d’y faire des recherches numériques avec ce bon vieux Ctrl + F, un régal !
Un dictionnaire infernal tamponné par un évêque
Le chemin principal de ces digression tenait dans la multiplicité des arts divinatoires. Le sujet est vaste et fort intéressant, donc j’y reviendrai par ailleurs. Je vais plutôt m’attarder aujourd’hui sur une note en bas de page piochée au hasard sur quelque page du magnifique Dictionnaire Infernal, écrit par J. Collin de Plancy et édité (pour la sixième fois ici) en 1863. Avec de magnifiques et nombreuses illustrations par M. L. Breton (d’après les documents formels, nous dit-on). Enfin, il est à noter que l’ouvrage a été lu et vérifié par l’évêque d’Arras, Pierre-Louis Parisis, qui n’y a rien trouver qui puisse blesser la foi ou les mœurs. Personnellement, en tant qu’Enkidoux, pas évêque pour un sou, tout juste pape discordianiste, je prévis tout de même que ce livre contient des passages qu’on qualifierait aujourd’hui de NSFL (Not Safe For Life). Pas besoin de TW (Trigger Warning) particulier aujourd’hui, je ne vais pas citer les morceaux les plus horribles.
Or donc, dans ce livre comprenant plus de 700 pages, on trouve en page 505 la note suivante :
Un jeune homme était bossu; il se consacrait aux arts et ne rêvait que la gloire. Un savant chirurgien le redressa ; devenu un homme bien fait, il se jeta dans le monde et y fut englouti sans y laisser de nom. M. Eugène Guinot, qui cite ce fait, ajoute : « Ésope n’aurait peut-être pas composé ses fables, si l’orthopédie avait été inventée de son temps. Le même écrivain cite d’autres victimes de la science. Un homme du monde était bègue, on lui trouvait de l’esprit ; l’hésitation prêtait de l’originalité à ses discours ; il avait le temps de réfléchir en parlant ; il s’arrêtait quelquefois d’une manière heureuse au milieu d’une phrase; il avait des demi-mots qui faisaient fortune. Un opérateur lui rend le libre exercice de sa langue; il parle net, et on trouve qu’il n’est plus qu’un sot.
Dictionnaire infernal (1863)
Non vous n’aurez pas le guillemet fermant car l’anecdote qui suit est vraiment naze. Ceci dit, ce qu’on a là est déjà plutôt lourd. Pour prendre un terme dans l’air du temps, c’est un peu « malaisant, peut-être (ça vous énerve ?).
Le Marvel Orthopedic Universe
Ésope donc, écrivain antique qui a inspiré nos La Fontaine et consorts, était soit blanc soit noir, soit bègue soit pas du tout, et vraisemblablement soit en bonne santé soit boiteux. En gros, ça date et on n’en sait trop rien. L’important est qu’ici on estime qu’il devrait son génie à sa douleur, à son infirmité. Pareil pour ce bègue non nommé, qui faisait preuve d’esprit tant qu’il galérait, mais s’est vu tout penaud une fois guéri de son handicap.
Mine de rien, on a deux cas assez différents ici (et un troisième que je vous ai épargné, mais vous pourrez aller le chercher) :
– Ésope qui, peut-être, aurait créé parce qu’il était limité dans ses mouvements ou en proie à des douleurs ;
– un mec semi-random qui aurait été poussé au génie par accident (l’histoire semble indiquer que beaucoup d’autres auraient pu se montrer aussi malins s’ils avaient été bègues).
Cela fait un peu penser au passage à ces blessés mythiques qui développeraient de super pouvoirs en compensation de ce qui leur manque. Genre Daredevil ! Le genre de cliché pas forcément apprécié chez les personnes concernées. Note importante toutefois : il est vrai néanmoins que l’entraînement à des formes alternatives de traitement des informations peut aboutir à des résultats surprenants. J’ai déjà écouté ce que donne un lecteur de code informatique pour développeur non voyant, et je peux vous dire qu’il faut s’accrocher (spoiler : ça va très très vite).
Souffrir pour créer
On arrive, on arrive. Faut-il donc avoir bobo pour écrire, peindre, jouer de la flûte ?
Vous me direz peut-être qu’on souffre déjà en entendant de la flûte, mais ce n’est pas la question, merci bien. Vous avez en tout cas déjà certainement entendu de nombreuses fois cette idée que la douleur alimente l’art. Et après tout, s’il n’y avait pas de déceptions amoureuses on aurait déjà beaucoup moins de chansons et de romans.
Tomber là-dessus m’a tout de suite parlé parce qu’hier justement, j’en ai chié des ronds de chapeau, et ça m’a poussé vers la continuation d’un texte (qui ne parle pas de douleur). Est-ce que je crée plus quand j’ai mal ? Je ne sais pas, je ne crois pas. La question reste ouverte. Hier soir en tout cas, l’épuisement était tel que de toute façon je n’ai pas pu faire grand chose.
De toute façon, je ne cherche pas à tirer de conclusion ici, ce serait nécessairement très subjectif. Je laisse deux choses pour y réfléchir. Des paroles de David Lynch parce que… parce que Lynch, quoi. Et un document sur le sujet, qui contient quelques infos intéressantes (notamment sur Alphonse Daudet).
David Lynch, c’est là :
Et voici l’avis de Manfred Schmeling (et Manfred c’est un prénom plutôt stylé) :
C’est tout.
Bonjour chez vous,
Enkidoux
Sujet passionnant pour lesquelles ont reçoit toutes les réponses possibles quand on interroge les artistes.
Cela dit, la question est souvent orientée sur la souffrance psychologique plus que sur les souffrances physiques, bien que dernièrement on lise souvent que les premières activent les mêmes zones du cerveau que les dernières.
En tout cas courage, j’espère que la sale phase passera vite…